Par un arrêt du 24 septembre 2025 n°24-13.078, la Cour de cassation confirme sa volonté de renforcer la protection de la loyauté commerciale.
Elle juge que la simple détention d’un document confidentiel, obtenu dans le cadre d’une relation antérieure, constitue une faute de concurrence déloyale, même sans usage ni valeur stratégique.
Cette décision consacre la confidentialité comme valeur protégée en soi, marquant une évolution préventive du droit de la concurrence déloyale.
Les faits : une faute sans usage, mais non sans déloyauté
L’affaire concernait un ancien vice-président d’association ayant transmis à son futur associé la balance comptable interne de l’association, avant de créer un événement concurrent.
La cour d’appel avait rejeté toute demande fondée sur la concurrence déloyale, considérant que le document était succinct, d’une portée limitée et dépourvu de caractère stratégique.
Mais la Cour de cassation casse cette décision, par une motivation brève et ferme :
« Le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié ou l’ancien mandataire social d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié ou ce mandataire social pendant l’exécution de son contrat de travail ou de son mandat, constitue un acte de concurrence déloyale »
Le contexte s’avère ici essentiel. Le document provenait d’un ancien dirigeant, tenu à une obligation légale et morale de loyauté envers l’association. La haute juridiction sanctionne donc moins la détention “passive” que la provenance déloyale du document.
C’est cette origine fautive, l’accès obtenu par abus de fonction ou rupture de confiance, qui confère à la détention sa gravité juridique.
Une qualification incertaine : vers l’émergence d’une faute autonome
Traditionnellement, la jurisprudence range les comportements déloyaux dans plusieurs catégories bien identifiées :
- Risque de confusion,
- Désorganisation,
- Dénigrement,
- Pratiques commerciales déloyales ou illicites,
- ou encore parasitisme économique.
Or, la détention passive d’un document confidentiel obtenu de manière déloyale ne s’inscrit parfaitement dans aucune de ces catégories.
Dès lors, faut-il y voir l’apparition d’une faute autonome, fondée directement sur le principe général de loyauté entre acteurs économiques ?
Ou bien une variante du parasitisme, caractérisée par le fait de tirer un bénéfice potentiel d’informations confidentielles obtenues sans effort, même sans les exploiter ?
La Cour semble ici opter pour une approche préventive : la loyauté n’est pas un concept répressif, mais une exigence de comportement, qui interdit toute appropriation d’informations obtenues en violation d’un lien de confiance.
Une tendance confirmée : la loyauté commerciale comme principe préventif
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de l’arrêt du 7 décembre 2022 (n°21-19.860), où la Cour avait déjà jugé fautive la simple détention d’un fichier clientèle par un ancien salarié, même non exploité.
La nouveauté de l’arrêt du 24 septembre 2025 n°24-13.078 réside dans sa portée généralisante : désormais, tout document confidentiel, quel qu’en soit le contenu ou la valeur, bénéficie de cette protection, dès lors qu’il a été obtenu dans des conditions contraires à la loyauté.
Cette logique marque un glissement conceptuel : la faute ne découle plus de l’effet concurrentiel, mais du comportement déloyal lui-même.
Le droit de la concurrence déloyale s’oriente ainsi vers une moralisation des relations d’affaires, où l’intégrité prime sur la matérialité du dommage.
Une difficulté persistante : comment indemniser une faute “préventive” ?
Si la faute semble aisément caractérisée, le préjudice réparable demeure en revanche difficile à cerner.
La Cour ne précise pas si la seule atteinte à la loyauté suffit à ouvrir droit à réparation.
Plusieurs hypothèses sont envisageables :
- Un préjudice moral présumé, résultant de la violation du principe de loyauté et de la perte de confiance entre partenaires économiques ;
- Un avantage concurrentiel indu, inspiré de la logique du parasitisme, dès lors que la détention d’informations confidentielles peut être perçue comme un bénéfice concurrentiel en soi.
Mais à défaut d’usage effectif ou de dommage mesurable, l’indemnisation pourrait demeurer symbolique, voire se limiter à la constatation judiciaire de la faute.
C’est précisément sur ce terrain que la cour d’appel de renvoi devra se prononcer :
la loyauté, en tant que valeur autonome, ouvre-t-elle droit à réparation, ou seulement à censure ?
Un enseignement fort : la loyauté, pilier de la concurrence équitable
Par cet arrêt, la Cour de cassation consacre une conception exigeante de la loyauté commerciale.
La confidentialité devient non plus un simple accessoire de la performance économique, mais un élément constitutif de la confiance contractuelle et concurrentielle.
En somme, la haute juridiction rappelle que la loyauté ne se mesure pas seulement à l’usage des moyens, mais aussi à leur origine et à leur obtention.
La prévention prend désormais le pas sur la répression, dans un mouvement qui tend à moraliser davantage la vie économique et à sanctuariser la confidentialité comme valeur juridique autonome.
Le cabinet ACBM Avocats accompagne les entreprises et dirigeants dans la prévention et la gestion des situations de concurrence déloyale, notamment en matière de protection des informations confidentielles et de respect de la loyauté commerciale.







