Revirement jurisprudentiel : La preuve déloyale dans les litiges civils est désormais admise

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L’utilisation par l’employeur d’une preuve obtenue de manière déloyale à l’encontre de son salarié

 

Par une décision rendue le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a récemment adopté une position novatrice sur l’admissibilité des preuves déloyales dans les litiges civils, marquant ainsi une évolution significative par rapport à la perception traditionnelle. Cet article examine une affaire récente où la Cour a permis l’utilisation d’une preuve obtenue de manière déloyale, jetant ainsi les bases d’une approche plus nuancée du droit de la preuve.

Concernant les faits, un salarié a été embauché par la société Abaque bâtiment services (la société ABS) en qualité de responsable commercial « grands comptes » le 14 octobre 2013.

À la suite d’un entretien informel, le salarié a été mis à pied de manière conservatoire et finalement licencié pour faute grave le 16 octobre 2016. Dans ce contexte, l’employeur avait utilisé un enregistrement sonore clandestin pour étayer les propos du salarié tenus lors de cet entretien.

Dès lors, le salarié qui n’avait pas été informé de ce dispositif, a contesté son licenciement et a demandé la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes.

En premier lieu, la Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 28 juillet 2020, avait initialement favorablement accueilli les prétentions du salarié, déclarant ces preuves irrecevables en raison de leur obtention déloyale. Outre l’enregistrement sonore, aucune autre preuve ne permettait de justifier le licenciement pour faute grave du salarié.

En deuxième lieu, à la suite de cette décision, la société ABS a formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que l’enregistrement audio, même obtenu à l’insu d’un salarié, est recevable.

Cela soulevait donc la question de savoir si une preuve obtenue de manière déloyale peut, sous certaines conditions, être présentée au juge afin de justifier un licenciement ?

La Cour de cassation amorce son raisonnement en rappelant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 10 oct. 2006, L.L. c. France, 7508/02) et consacré en droit interne. Selon ces principes, en matière civile, une preuve illicite est recevable lorsque celle-ci est jugée indispensable au succès de la prétention de la partie qui l’invoque et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but recherché (Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-10.606).

Cette solution, bien établie, était toutefois nuancée. En effet, sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Haute juridiction a jugé irrecevable la production d’une preuve obtenue à l’insu de la personne ou par le biais d’une manœuvre ou d’un stratagème (Ass. Plén. 7 janv. 2011, n°09-14.316).

Le droit européen admet qu’une preuve, bien qu’obtenue de manière déloyale, soit soumise au juge ce qui, compte tenu des avancées technologiques, peut présenter des risques d’atteinte à des droits fondamentaux tels que la vie privée ou le secret professionnel.

 

Un tournant jurisprudentiel marquée par la reconnaissance des preuves déloyales dans les litiges civils

 

Néanmoins, par ce revirement intervenu le 22 décembre 2023, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a marqué un tournant significatif. Sous l’influence du droit européen, elle a affirmé que l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention d’une preuve ne doit pas nécessairement entraîner son exclusion automatique des débats dans un procès civil.

En effet, la Cour a énoncé un critère permettant au juge d’apprécier l’admissibilité de preuves obtenues de manière déloyale. Au visa des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 9 du code de procédure civile, l’Assemblée plénière précise que lorsque de telles preuves lui sont soumises, le juge doit examiner si leur admission porterait atteinte au caractère équitable de la procédure prise dans son ensemble.

Cette évaluation repose sur un équilibre délicat entre le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Par conséquent, le juge devra désormais déterminer si le droit à la preuve justifie la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, sous réserve que cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte soit strictement proportionnée à l’objectif poursuivi.

Autrement dit, le juge doit vérifier si des résultats équivalents ne pourraient pas être obtenus en utilisant des moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié.

En ce sens la Cour a affirmé que désormais, il y a lieu « de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».

Cette approche met en lumière la nécessité d’une évaluation au cas par cas, prenant en compte les circonstances spécifiques de chaque litige.

Cet arrêt de la Cour de cassation marque un changement majeur dans la jurisprudence, élargissant ainsi les possibilités d’admission des preuves déloyales dans les litiges civils.

Conclusion : La Cour de cassation fait évoluer sa position en matière de preuves déloyales dans les litiges civils. Désormais, la Cour reconnaît la possibilité, dans le cadre d’un litige civil, pour une partie d’utiliser une preuve obtenue de manière déloyale à condition de respecter certains critères. Ce changement ouvre ainsi la voie à une approche plus flexible et individualisée, soulignant l’importance d’une réflexion approfondie sur les circonstances spécifiques de chaque affaire pour garantir une justice équitable.

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