La mise en ligne des photos ou vidéos d’un enfant sur les réseaux sociaux, pratique parfois qualifiée de « sharenting », n’est pas un geste anodin.
Ce geste implique de sérieuses questions de responsabilité parentale et peut avoir des incidences durables sur la vie privée, l’identité numérique et la sécurité de l’enfant.
En France, 53 % des parents reconnaissent avoir déjà partagé du contenu de ce type sur les réseaux sociaux.
Dès lors, si certains parents estiment partager des souvenirs « innocents » ou « familiaux », ils devraient mesurer les risques concrets, présents et futurs, que cela comporte pour leurs enfants.
Principaux risques juridiques et pratiques
Détournement, exploitation malveillante et cybermenaces
Les photos ou vidéos d’enfants peuvent être récupérées, détournées ou diffusées à des fins malveillantes, y compris sur des réseaux de pornographie infantile. La publication de clichés intimes, par exemple des enfants dans le bain, augmente spécialement ce risque.
Avec l’avènement des technologies d’intelligence artificielle, certaines images peuvent servir à créer des « deep-fakes » d’enfants, voire à hyper-truquer des photos pour provoquer un embarras, une atteinte à la dignité ou des abus.
Ces détournements peuvent contribuer au développement de pratiques pédocriminelles, mais aussi au cyberharcèlement — d’autant que la visibilité publique de ces images facilite l’exploitation par des personnes malveillantes.
Atteinte à la vie privée et exploitation des métadonnées
Les photos/vidéos contiennent souvent des métadonnées (horodatage, coordonnées GPS, lieux fréquentés…), susceptibles de révéler des informations sensibles sur l’enfant — localisation, habitudes, école, loisirs, etc.
Ces données peuvent être utilisées pour profiler l’enfant, cibler la famille, ou faciliter toute tentative de contact non désiré par des tiers illégitimes.
Création d’une identité numérique durable, perte de contrôle sur l’image
Dès le plus jeune âge, un enfant peut se voir attribuer une « identité numérique » constituée de centaines, voire de milliers de photos publiées par ses parents. Selon une étude citée par la CNIL, un enfant de 13 ans avait en moyenne 1 300 photos de lui en ligne.
Une fois publiées, ces données peuvent rester accessibles longtemps, c’est-à-dire au-delà de l’enfance, de l’adolescence, jusque dans la vie adulte, et porter atteinte à la faculté de l’enfant de maîtriser son image.
À long terme, ces traces numériques peuvent nuire à la réputation en ligne de l’enfant, créer un risque de cyberharcèlement, et, dans certains cas, avoir des répercussions sur sa vie scolaire, sociale ou professionnelle.
Responsabilité parentale et cadre juridique renforcé
En droit français, le droit à l’image de l’enfant découle du droit au respect de la vie privée (art. 9 du code civil).
Depuis la loi adoptée le 19 février 2024, la protection du droit à l’image de l’enfant a été renforcée : les parents doivent veiller au respect de la vie privée de l’enfant, en tenant compte de son âge et de sa maturité.
La publication d’images d’un mineur est généralement considérée comme un acte non habituel, ce qui implique le consentement des deux parents.
En cas de désaccord, le juge aux affaires familiales peut interdire la diffusion.
Si la diffusion porte gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de l’enfant, des conséquences plus lourdes sont prévues, jusqu’à une délégation partielle forcée de l’autorité parentale.
Bonnes pratiques recommandées (et vivement conseillées) par la CNIL
Pour les parents qui souhaitent malgré tout partager des images de leur enfant sur internet, la CNIL recommande plusieurs mesures pour limiter les risques :
- Privilégier les canaux privés : utiliser la messagerie instantanée, les e-mails ou les MMS plutôt que les réseaux sociaux publics.
- Obtenir le consentement de l’enfant (selon son âge/maturité) et de l’autre parent avant toute publication.
- Sélectionner et modérer le contenu publié : éviter les photos intimes (maillot de bain, bain, etc.), masquer le visage de l’enfant (angle, dos, émoticône, floutage, etc.).
- Sécuriser les comptes et limiter la visibilité : paramétrer le profil en privé, restreindre la visibilité des publications à un cercle restreint, contrôler les abonnés.
- Nettoyer régulièrement ses contenus : trier les abonnés, supprimer les anciens posts devenus obsolètes, réfléchir avant de republier.
Pourquoi un avocat conseille la plus grande prudence, et ce que cela implique pour les parents
En tant qu’avocats, nous considérons la publication d’images d’enfants sur les réseaux sociaux comme une affaire sérieuse, non seulement sous l’angle de la responsabilité civile, mais aussi du respect des droits fondamentaux de l’enfant (vie privée, dignité, droit à l’image).
- Responsabilité parentale renforcée : le cadre légal mis en place par la loi de 2024 impose un véritable devoir de garde numérique. Publier sans consentement, ou sans accord de l’autre parent, peut exposer à des contestations voire à des sanctions, s’il y a atteinte à l’intégrité morale de l’enfant.
- Risques de détournement et d’exploitation : les parents ne maîtrisent plus les images une fois diffusées. Un simple partage peut suffire à ce que des acteurs malveillants récupèrent, modifient, diffusent ou exploitent ces images à des fins criminelles.
- Atteinte à l’autonomie future de l’enfant : en créant une empreinte numérique durable, les parents peuvent priver l’enfant, devenu adulte, de la possibilité de maîtriser son image, ce qui pose un réel problème éthique et juridique.
- Impact psychologique, social, professionnel : des photos d’enfance mal choisies, des moments intimes ou des images partagées sans respect de l’intimité peuvent, à terme, nuire à la réputation de l’enfant, à son estime de soi, ou l’exposer à du harcèlement.
De ce fait, et comme le recommande la CNIL, la meilleure précaution reste l’abstention — ou, à défaut, un recours strict à des formes de partage privé et sécurisé.
Conclusion
Le désir légitime de partager les joies de la parentalité ne doit pas faire oublier que l’enfant dispose de droits propres, à l’image, à la vie privée, à la dignité et qu’il convient de les respecter, y compris à l’ère du numérique.
À l’heure où les réseaux sociaux facilitent la mise en ligne et la diffusion massive de contenus, les parents doivent prendre conscience des risques concrets et durables qui découlent du simple clic « Partager ».
Ce n’est pas seulement une question de prudence : c’est une exigence de protection et de respect des droits fondamentaux de l’enfant.







